- Comprendre le concept de zéro émission nette
- Les gaz à effet de serre concernés par les objectifs net zéro
- Réduire les émissions à la source avant 2030
- Captation et stockage du carbone (CSC) et solutions naturelles
- Scopes 1, 2 et 3 : mesurer l’ensemble des émissions
- Normes et standards pour un objectif net zéro crédible
- Compensation vs contribution : vers une approche responsable
- Gouvernance, équité et transition juste vers 2030
- Conclusion
- Points clés
- FAQs
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2) doivent être réduites de 45% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2010 et atteindre le net zero d’ici 2050. Cette transition représente un défi technique et économique sans précédent, nécessitant des investissements mondiaux annuels dans l’énergie propre qui devront plus que tripler pour atteindre environ 4 milliards de dollars d’ici 2030 .
Actuellement, environ 145 pays ont annoncé ou envisagent des objectifs de zéro émission nette, couvrant près de 90% des émissions mondiales . Ces engagements net zero représentent 92% du PIB mondial et 89% de la population mondiale . Cependant, les sept plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (Chine, États-Unis, Inde, Union européenne, Indonésie, Fédération de Russie et Brésil) contribuent encore à environ la moitié des émissions mondiales . Pour atteindre les objectifs net zéro 2030, une compréhension approfondie des stratégies et des technologies disponibles est donc essentielle.
Ce guide technique explore les concepts fondamentaux du zéro émission nette, les différents gaz à effet de serre concernés, ainsi que les approches de réduction à la source et de captation du carbone. Il présente également les méthodologies de mesure et les normes de certification, et aborde les questions d’équité dans cette transition majeure vers un futur décarboné.
Comprendre le concept de zéro émission nette
Le concept de zéro émission nette, également appelé « net zéro », représente un objectif climatique précis et scientifiquement fondé. Cette notion, parfois mal interprétée, mérite d’être clairement définie afin de comprendre son importance dans la lutte contre le changement climatique.
Différence entre net zéro, neutralité carbone et climat neutre
Zéro émission net correspond à un état d’équilibre où les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont réduites au plus près de zéro, les émissions restantes étant réabsorbées par l’atmosphère, les océans, les forêts ou d’autres puits de carbone [1]. Selon le GIEC, le net zéro est atteint lorsque les émissions mondiales de GES anthropiques sont entièrement compensées par les absorptions anthropiques [2].
En revanche, la neutralité carbone est un concept né dans le cadre du Protocole de Kyoto à la fin des années 1990 [1]. Une entreprise atteint la neutralité carbone lorsque ses émissions de GES sont entièrement compensées par des crédits carbone [3]. Cette définition initiale n’inclut pas d’exigence de réduction des émissions à la source [2], ce qui constitue une différence fondamentale par rapport au net zéro.
Par ailleurs, le concept de climat neutre se concentre sur l’équilibre de l’effet global sur le climat, incluant non seulement la réduction des GES, mais également d’autres facteurs tels que la consommation d’eau et la gestion des déchets [1].
Ces distinctions sont essentielles car elles guident les stratégies d’action climatique. Ainsi, pour atteindre le net zéro, une entreprise doit d’abord calculer ses émissions, puis définir un plan de réduction sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, en cohérence avec une trajectoire d’atténuation de 1,5 °C, et enfin neutraliser uniquement ses émissions résiduelles par séquestration [2].
Le tableau ci-dessous résume les principales différences entre ces concepts :
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Critère |
Neutralité Carbone |
Net Zéro |
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Exigence de réduction |
Aucune réglementation associée |
Réductions d’émissions alignées sur la trajectoire 1,5 °C |
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Périmètre |
Choisi librement par les organisations |
Doit inclure scopes 1, 2 (95 %) et scope 3 (67 %) |
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Compensation |
Via projets d’évitement, réduction ou séquestration |
Neutralisation des émissions résiduelles uniquement par séquestration |
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Standard de référence |
Norme PAS 2060 |
Science-Based Targets Initiative (SBTi) |
Pourquoi viser le net zéro pour 2030 ?
L’urgence d’agir repose sur des données scientifiques précises. Selon le GIEC, pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, il est nécessaire de réduire les émissions mondiales de GES de 43 % d’ici 2030, de diminuer les émissions de méthane d’environ un tiers d’ici la même date, puis d’atteindre la neutralité émission d’ici 2050 [1].
Actuellement, la température à la surface du globe est déjà supérieure d’environ 1,1 °C par rapport à celle de la fin des années 1800, et les émissions continuent d’augmenter [2]. Sans action rapide, nous risquons de graves conséquences, telles que des pénuries d’eau et des vagues de chaleur sans précédent [1].
Viser le net zéro d’ici 2030 présente également des avantages stratégiques pour les organisations :
-
Réponse aux attentes croissantes des parties prenantes, avec 71% des consommateurs souhaitant acheter auprès de marques engagées pour l’environnement [1]
-
Accès facilité à de nouveaux marchés et financements, notamment via les obligations vertes qui ont dépassé 1 000 milliards de dollars d’émissions [1]
-
Anticipation des évolutions réglementaires comme la CSRD et la taxonomie verte européenne [1]
Par conséquent, le net zéro ne représente pas seulement un impératif climatique, mais aussi une opportunité de création de valeur durable. C’est pourquoi 85 % des investisseurs institutionnels considèrent désormais les enjeux ESG, dont le climat, comme déterminants de leurs décisions d’investissement [1].
Il est important de noter que la transition vers un monde net zéro constitue l’un des plus grands défis auxquels l’humanité a été confrontée, nécessitant une transformation complète de notre façon de produire, de consommer et de nous déplacer [2]. Cette démarche exige méthode et transparence pour éviter toute dérive vers le greenwashing [1].
Les gaz à effet de serre concernés par les objectifs net zéro
Atteindre les objectifs de zéro émission nette nécessite une compréhension approfondie des différents gaz à effet de serre (GES) qui contribuent au réchauffement climatique. Bien que le dioxyde de carbone soit souvent au centre des discussions, d’autres gaz jouent également un rôle crucial dans le bilan climatique global.
CO2 vs autres GES : méthane, N2O, HFC
Le dioxyde de carbone (CO2) constitue la principale préoccupation dans les stratégies net zéro, représentant près de 65% de l’effet de serre anthropique [4]. Ses émissions proviennent principalement de la combustion d’énergies fossiles, de la déforestation et de certains procédés industriels, tels que la fabrication du ciment [5]. En Europe, le CO2 représentait 79% des émissions de gaz à effet de serre en 2019 [6].
Toutefois, d’autres GES contribuent significativement au réchauffement climatique :
Le méthane (CH4) est responsable d’environ 17% de l’effet de serre anthropique [4] et représente 12% des émissions de GES en Europe en 2019 [6]. Ce gaz provient notamment de :
-
L’élevage des ruminants (32 % des émissions d’origine humaine) [6]
-
La décomposition des déchets organiques
-
L’exploitation et la distribution des énergies fossiles
-
La culture du riz en zones inondées
Le protoxyde d’azote (N2O) contribue à hauteur de 6,8 % aux émissions totales de GES en Europe [6]. Il est principalement émis par :
-
L’utilisation d’engrais azotés dans l’agriculture
-
Certains procédés industriels comme la fabrication d’acide nitrique
-
La combustion de matière organique et d’énergies fossiles
Les gaz fluorés (HFC, PFC, SF6, NF3) sont exclusivement d’origine humaine [5] et se retrouvent dans :
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Les systèmes de réfrigération et climatisation
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Les aérosols
-
Les mousses isolantes
-
Certains équipements électriques
Ainsi, environ deux tiers des émissions mondiales de méthane sont aujourd’hui d’origine anthropique [4], tandis que les gaz fluorés, bien qu’utilisés en quantités plus faibles, présentent un potentiel de réchauffement extrêmement élevé.
Durée de vie et impact climatique des différents GES
La durée de vie atmosphérique des GES varie considérablement, ce qui influence directement les stratégies pour atteindre le net zéro :
Le CO2 persiste plus de 100 ans dans l’atmosphère [7]. En réalité, si un tiers de la moitié du CO2 émis est absorbé durant les premières décennies, 10 à 25 % du surplus initial peut persister jusqu’à 10 000 ans [4]. C’est donc par son accumulation que le CO2 devient particulièrement dangereux à long terme.
Le méthane a une durée de vie relativement courte d’environ 12 ans [7]. Cette caractéristique en fait un levier d’action rapide et efficace pour réduire le réchauffement climatique à court terme.
Le protoxyde d’azote persiste environ 120 ans [4], contribuant ainsi au réchauffement à long terme.
Les gaz fluorés présentent des durées de vie extrêmement variables, allant de 5 à 50 000 ans [7], certains agents halogénés pouvant même persister pendant plus de 50 000 ans [5].
Pour comparer l’impact des différents GES, les scientifiques utilisent le Potentiel de Réchauffement Global (PRG), qui mesure la capacité d’un gaz à retenir la chaleur par rapport au CO2 (dont le PRG est fixé à 1) sur une période donnée, généralement de 100 ans [6]. Par exemple :
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Le méthane possède un PRG 25 à 34 fois supérieur à celui du CO2 [4][8]
-
Le protoxyde d’azote a un PRG environ 298 fois plus élevé que le CO2 [8]
-
Certains gaz fluorés comme le SF6 peuvent avoir un PRG jusqu’à 24 000 fois supérieur à celui du CO2 [9]
Par conséquent, toute stratégie visant le net zéro d’ici 2030 doit impérativement prendre en compte l’ensemble de ces gaz, leur durée de vie et leur impact climatique différenciés pour élaborer des plans de réduction adaptés.
Réduire les émissions à la source avant 2030
La réduction des émissions à la source constitue le premier levier d’action pour atteindre le net zéro. Contrairement aux stratégies de compensation, cette approche vise à réduire directement les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Examinons les principaux secteurs où des actions concrètes sont nécessaires avant 2030.
Décarbonation de l’énergie : énergies renouvelables et efficacité
Dans tous les scénarios de neutralité carbone à l’horizon 2050, la décarbonation passe par un développement significatif de l’électrification des usages énergétiques, notamment dans les secteurs les plus émetteurs [3]. Cette transition implique deux axes majeurs : le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique.
La production primaire d’énergies renouvelables a progressé de plus de 70 % en France depuis 2005 [2]. Cette croissance résulte principalement du développement de l’éolien, des pompes à chaleur et des biocarburants, qui représentent désormais plus de 30% de la production primaire d’énergies renouvelables [2]. Néanmoins, avec 17,2% de la consommation finale d’énergie en 2019 [2], la France n’a pas atteint son objectif de 23% fixé pour 2020.
L’efficacité énergétique, première étape clé de toute démarche de décarbonation, permet de :
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Réduire la facture énergétique
-
Diminuer l’empreinte carbone
-
Dimensionner correctement les futurs investissements [10]
La récupération et la valorisation de la chaleur fatale issue de l’industrie constituent également un potentiel d’économies d’énergie à exploiter en priorité [10]. Cette chaleur peut être utilisée en interne ou externalisée via un réseau de chaleur.
Réduction des émissions industrielles et agricoles
L’industrie représente le troisième contributeur en termes d’émissions de GES (20% en 2017) [11]. Pour décarboner ce secteur, plusieurs solutions sont déployées :
L’électrification des procédés thermiques offre un gisement considérable, particulièrement dans les secteurs opérant à basse température comme l’industrie agroalimentaire ou chimique [10]. Les pompes à chaleur (PAC) ou la recompression mécanique de vapeur (RMV) permettent d’obtenir des gains énergétiques significatifs.
L’utilisation d’hydrogène produit par électrolyse constitue une autre façon d’électrifier indirectement les besoins énergétiques industriels [10]. Le Plan France 2030 mobilise 5,6 milliards d’euros pour soutenir des projets de décarbonation industrielle [12].
Concernant l’agriculture, deuxième source d’émissions de GES en France avec 85 millions de tonnes équivalentes CO₂ émises en 2021 (19 % du total national) [1], les principales sources sont :
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Le méthane (CH₄) issu de la fermentation entérique des ruminants
-
Le protoxyde d’azote (N₂O) provenant de la fertilisation azotée [1]
La planification écologique lancée par le gouvernement prévoit une réduction des émissions agricoles de 13 MtCO₂eq d’ici 2030 [1].
Électrification des transports et bâtiments
Le secteur des transports représente 30% des émissions de gaz à effet de serre en France, et le transport routier, à lui seul, 29% [3]. C’est l’un des seuls secteurs dont les émissions ont augmenté depuis 1990 (+10 %) [2]. Par conséquent, l’électrification du parc de véhicules constitue un enjeu majeur de la décarbonation.
En 2022, les véhicules tout électriques et hybrides rechargeables ont représenté 18,5 % du marché français, avec près de 346 000 immatriculations [3]. Ce chiffre marque une progression de +10 % par rapport à 2021 et a été multiplié par 5 par rapport à 2019 [3]. Selon les projections d’Enedis, le parc électrifié pourrait atteindre 17 millions de véhicules en 2035 et près de 35 millions en 2050 [13].
Pour les bâtiments, qui représentent 25% des GES et 44% des consommations d’énergie [2], trois piliers de décarbonation sont mis en œuvre :
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L’amélioration de la performance énergétique du bâti
-
L’amélioration du rendement des solutions de chauffage
-
Le remplacement des installations au gaz ou au fioul par des systèmes bas-carbone [3]
D’après la directive sur la performance énergétique des bâtiments, tous les bâtiments neufs devront être « zéro émission » d’ici 2030, et même dès 2028 pour les bâtiments publics [14]. Le grand plan d’investissement gouvernemental a déjà permis une réduction de 139 000 tonnes d’émissions de CO₂ [2], tandis que le Plan de Relance consacre 6,7 milliards d’euros à la rénovation thermique des bâtiments [2].
Cependant, l’association Négawatt s’inquiète d’une électrification des usages trop poussée pour « être maîtrisée » [14], soulignant l’importance de la sobriété énergétique comme pilier de la politique énergétique française pour atteindre l’objectif -55 % [11].
Captation et stockage du carbone (CSC) et solutions naturelles
Parallèlement aux efforts de réduction des émissions, les technologies de captation et de stockage du carbone (CSC) et les solutions naturelles jouent un rôle complémentaire essentiel pour atteindre l’objectif de zéro émission nette. Ces approches visent à retirer le CO₂ déjà présent dans l’atmosphère ou à empêcher son rejet.
Technologies de captation directe de l’air (DAC)
La captation directe du dioxyde de carbone dans l’air (Direct Air Capture, ou DAC) consiste à extraire le CO₂ directement de l’atmosphère, contrairement au captage traditionnel, qui s’effectue à la source des émissions industrielles [15]. Cette distinction est fondamentale, car la concentration de CO₂ dans l’air ambiant est bien plus faible que dans les fumées industrielles, ce qui rend le processus plus énergivore et coûteux [16].
Deux technologies principales dominent actuellement le marché :
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DAC liquide (L-DAC) : utilise une solution aqueuse pour absorber le CO₂ et nécessite des températures très élevées (300 à 900 °C) [17]
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DAC solide (S-DAC) : emploie des matériaux solides absorbants fonctionnant à des températures plus basses (80-120 °C) [17]
Des technologies émergentes comme l’electrosorption adsorption (ESA) utilisent des électrodes qui captent le CO₂ lorsqu’elles sont chargées négativement et le libèrent lorsqu’elles sont chargées positivement [17]. Cette approche innovante pourrait réduire considérablement les coûts, avec des estimations comprises entre 50 et 100 $ par tonne de CO₂ [15].
Actuellement, 27 installations DAC sont en service dans le monde, captant ensemble environ 0,01 million de tonnes de CO₂ par an [16]. Néanmoins, environ 130 projets à grande échelle sont en développement [16]. La plus grande installation actuelle, « Orca » en Islande, ne capte que 4 000 tonnes de CO₂ par an [15], alors que le gouvernement américain finance des projets au Texas et en Louisiane visant chacun à éliminer 1 million de tonnes de CO₂ par an [15].
Rôle des puits naturels : forêts, sols, océans
Les puits de carbone naturels sont des réservoirs qui stockent ou éliminent les gaz à effet de serre, principalement dans les océans, les sols et les forêts [18]. Ils captent actuellement environ la moitié des émissions anthropiques de gaz à effet de serre [18], ce qui souligne leur importance cruciale dans la lutte contre le changement climatique.
En France, le stock total de carbone organique dans l’horizon 0-30 cm des sols (hors surfaces artificialisées) est estimé à 3,58 gigatonnes de carbone, équivalent à 13,4 gigatonnes de CO₂ [9]. Les forêts françaises constituent également un puits significatif, bien que leur capacité se soit réduite ces dernières années, passant de 83 millions de tonnes de CO₂ par an en 2018 à 31,2 millions aujourd’hui [19].
Par ailleurs, le sol forestier contient 51% du carbone stocké en forêt, réparti entre l’humus (144 MtC) et la matière organique mesurée entre 0 et 30 cm de profondeur (1301 MtC) [19]. La biomasse forestière emmagasine également du carbone : 987 MtC dans le tronc et les branches, 281 MtC dans les racines et 114 MtC dans les ligneux bas et le bois mort [19].
L’initiative « 4 pour mille », lancée par la France lors de la COP21, propose d’augmenter annuellement d’un quatre millième le stock de carbone des sols mondiaux [9]. Cependant, cette augmentation ne pourrait compenser que 12 % des émissions françaises de GES [9].
Durabilité et risques de réversibilité
La permanence du stockage constitue un défi majeur pour toutes les solutions de captation du carbone. Pour le stockage géologique du CO₂, il doit idéalement couvrir non seulement la durée d’utilisation des combustibles fossiles (un à deux siècles), mais aussi celle du cycle océanique (environ 500 ans) [20]. Certains projets visent même des périodes de stockage allant jusqu’à plusieurs milliers d’années [20].
Concernant les puits naturels, l’augmentation du stock de carbone des sols par l’adoption de pratiques « plus stockantes » n’est possible que pendant une période limitée, jusqu’à ce qu’un nouvel équilibre soit atteint [9]. De plus, ce stockage est réversible si les pratiques sont abandonnées [9].
Les écosystèmes forestiers sont également vulnérables aux dépérissements, aux incendies et aux changements climatiques [19], ce qui pourrait non seulement réduire leur capacité à absorber le CO₂, mais aussi libérer le carbone déjà stocké.
Le coût constitue un autre obstacle majeur. Les technologies DAC coûtent actuellement entre 4 et 6 fois plus cher que le captage à la source [15], avec des estimations allant de 100 à 150 € par tonne de CO₂ stocké pour le CSC traditionnel, jusqu’à 1 000 € pour les systèmes DAC [4]. Ces coûts élevés limitent considérablement leur déploiement à grande échelle.
Scopes 1, 2 et 3 : mesurer l’ensemble des émissions
Pour piloter efficacement une stratégie net zéro, la mesure précise des émissions de gaz à effet de serre constitue un prérequis fondamental. Cette quantification s’appuie sur une méthodologie standardisée qui catégorise les émissions en trois périmètres distincts.
Définition des scopes selon le GHG Protocol
Le Greenhouse Gas Protocol (GHG Protocol) établit un cadre normalisé pour mesurer et gérer les émissions de GES des entreprises et organisations. Ce référentiel international, développé par le World Resources Institute (WRI) et le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), classe les émissions en trois catégories :
Scope 1 : Les émissions directes issues de sources détenues ou contrôlées par l’organisation. Elles incluent :
-
La combustion stationnaire (chaudières, fours)
-
La combustion mobile (véhicules d’entreprise)
-
Les émissions fugitives (fuites de climatisation)
-
Les procédés industriels
Scope 2 : Les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie, notamment :
-
L’électricité achetée
-
La vapeur, le chauffage et la climatisation importés
Scope 3 : Toutes les autres émissions indirectes qui se produisent dans la chaîne de valeur de l’entreprise, comprenant 15 catégories standardisées réparties en amont (achats, transport) et en aval (utilisation des produits, fin de vie).
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Scope |
Type d’émissions |
Exemples |
Contrôle de l’entreprise |
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1 |
Directes |
Combustion sur site, flotte de véhicules |
Direct |
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2 |
Indirectes énergétiques |
Électricité, chaleur achetées |
Indirect mais choix possible |
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3 |
Autres indirectes |
Achats, déplacements, utilisation des produits |
Influence limitée |
Pourquoi inclure les émissions indirectes (Scope 3) ?
L’intégration du Scope 3 dans la comptabilité carbone s’avère essentielle car ces émissions indirectes représentent généralement plus de 70% de l’empreinte carbone d’une entreprise. Dans certains secteurs comme la grande distribution ou l’industrie textile, cette proportion peut même atteindre 98%.
Le Scope 3 permet d’identifier les points chauds d’émissions au sein de la chaîne de valeur et d’élaborer des stratégies ciblées de réduction. Par exemple, pour une entreprise textile, la phase de production des matières premières peut représenter jusqu’à 87% des émissions totales.
En outre, l’intégration du Scope 3 répond aux attentes croissantes des parties prenantes. Les investisseurs, notamment via l’initiative Science Based Targets (SBTi), exigent désormais des objectifs de réduction couvrant ce périmètre. Pour qu’un objectif net zéro soit validé par SBTi, une entreprise doit :
-
Couvrir au moins 95% des émissions des Scopes 1 et 2
-
Inclure au minimum 67% des émissions du Scope 3 si elles représentent plus de 40% des émissions totales
Néanmoins, la mesure du Scope 3 présente des défis considérables : accès limité aux données, complexité méthodologique et influence limitée sur les fournisseurs ou les clients. Cependant, des outils tels que le GHG Protocol Scope 3 Evaluator facilitent cette quantification, rendant l’objectif net zéro 2030 plus accessible.
Normes et standards pour un objectif net zéro crédible
La standardisation des démarches net zéro s’avère indispensable pour garantir leur crédibilité et leur impact réel sur le climat. Plusieurs cadres normatifs internationaux ont émergé pour accompagner les organisations dans cette transition complexe.
ISO 14068 et IWA 42:2022
L’Organisation internationale de normalisation (ISO) a développé des référentiels spécifiques pour encadrer les démarches net zéro. L’IWA 42:2022 (International Workshop Agreement), lancé lors de la COP27 en novembre 2022, constitue la première ligne directrice mondiale pour définir le net zéro. Ce document définit le net zéro comme « un état dans lequel les émissions résiduelles de gaz à effet de serre d’origine humaine sont équilibrées par les absorptions dirigées par l’humain » [7].
Par ailleurs, la norme ISO 14068-1:2023, publiée en novembre 2023, définit les principes, exigences et recommandations pour atteindre et démontrer la neutralité carbone [6]. Elle établit une hiérarchie claire où la réduction des émissions prend la priorité sur la compensation, et impose que toute neutralité carbone soit vérifiée conformément à l’ISO 14064-3 [6].
Science-Based Targets Initiative (SBTi)
Créée en 2015, l’initiative Science Based Targets est une collaboration entre le CDP, le Pacte mondial des Nations Unies, le World Resources Institute et le WWF [21]. En 2025, plus de 10 000 entreprises ont fixé ou se sont engagées à fixer des objectifs climatiques validés par SBTi [21].
Le Corporate Net-Zero Standard de SBTi, lancé en 2021, fournit un cadre rigoureux pour valider les engagements net zéro des entreprises [22]. Pour être approuvés, ces objectifs doivent couvrir au minimum 95% des émissions des Scopes 1 et 2, ainsi que 67% du Scope 3 pour les objectifs à court terme et 90% pour les objectifs à zéro net [22].
Critères de robustesse : additionnalité, permanence, vérifiabilité
La crédibilité d’une démarche net zéro repose sur trois critères fondamentaux :
L’additionnalité garantit que les réductions ou les absorptions n’auraient pas eu lieu sans l’intervention de l’organisation. SBTi exige ainsi que les entreprises définissent des objectifs « near-term » (5 à 10 ans) et des objectifs « net-zero » à atteindre au plus tard en 2050 [22].
La permanence assure que le carbone séquestré reste durablement stocké. Pour les crédits carbone utilisés en compensation, ils doivent provenir uniquement de réductions d’émissions ou d’absorptions de GES qui sont « réelles, mesurables et permanentes » [6].
La vérifiabilité impose une transparence totale dans le suivi des progrès. Les grandes entreprises des pays à revenu élevé doivent désormais faire auditer leurs données d’émissions par un tiers indépendant [5], tandis que toute revendication de neutralité carbone doit référencer explicitement le rapport de neutralité carbone correspondant [6].
Compensation vs contribution : vers une approche responsable
Le débat entre compensation et contribution carbone constitue un tournant fondamental dans la manière d’aborder le net zéro. Cette distinction sémantique cache en réalité une profonde évolution conceptuelle nécessaire pour atteindre des objectifs climatiques crédibles.
Limites de la compensation carbone classique
Le mécanisme traditionnel de compensation carbone présente plusieurs faiblesses structurelles. Premièrement, il suggère qu’une émission peut être « annulée » ou « neutralisée » par un achat de crédits carbone, ce qui contrevient aux règles de reporting carbone classiques [8]. En outre, le système actuel permet à des entreprises de se proclamer « neutres en carbone » sans réelle légitimité, ce qui rend difficile l’identification des acteurs véritablement engagés [23].
D’un point de vue mathématique, l’approche est également problématique. Une étude d’Oxfam démontre que pour éliminer les émissions mondiales liées à la seule utilisation des terres, il faudrait planter au moins 1,6 milliard d’hectares de forêt, soit l’équivalent de cinq fois la superficie de l’Inde [24]. Par ailleurs, les projets de monoculture d’arbres à croissance rapide peuvent nuire à la biodiversité et s’avérer gourmands en eau [24].
Le risque principal demeure que ce dispositif incite à se défausser de ses propres obligations de réduction. La compensation devient ainsi un moyen facile de contourner des efforts réels et significatifs [23].
Le concept de contribution climatique selon Net Zero Initiative
Face à ces dérives, Net Zero Initiative propose de remplacer le terme « compensation » par « contribution », qui n’implique pas l’idée d’une annulation des émissions [8]. Cette approche distingue trois piliers comptables non fongibles : les émissions induites à réduire, les contributions à la réduction d’autres acteurs et les contributions au développement des puits de carbone [10].
Cette vision encourage à valoriser les contributions d’une entreprise à l’atteinte de la neutralité territoriale séparément de sa propre empreinte carbone. Ainsi, chaque organisation doit piloter simultanément la réduction de ses émissions sur l’ensemble de sa chaîne de valeur, ses contributions à la réduction d’autres acteurs et ses contributions au développement des puits [10].
Cette démarche s’avère plus collective, plus précise et plus positive. Elle transforme l’achat de crédits carbone en un acte semblable à la philanthropie climatique, davantage axé sur la transparence que sur un simple mécanisme comptable [10].
Gouvernance, équité et transition juste vers 2030
La transition vers le net zéro soulève des questions fondamentales d’équité et de gouvernance qui vont bien au-delà des aspects purement techniques.
Engagements formels et transparence
Malgré la multiplication des engagements climatiques des entreprises, qui a bondi de 40% entre juin 2022 et octobre 2023 [12], seulement 4% de ces objectifs répondent aux critères fixés par l’ONU [12]. Ces critères exigent la prise en compte totale des émissions, leur réduction immédiate et un suivi annuel des progrès. Par ailleurs, parmi les entreprises ayant fixé un objectif, seules 37 % incluent leurs émissions indirectes (scope 3) [12]. En 2025, au moins 1 935 entités ont établi des objectifs net zéro, couvrant 47,4% des émissions mondiales [25].
Équité Nord-Sud et impacts sociaux de la transition
La justice climatique révèle une inégalité frappante : les pays du Nord, représentant seulement 20% de la population mondiale, sont responsables de 80% de l’accumulation historique de GES [26], tandis que les pays du Sud subissent plus durement les impacts climatiques. Le Fonds vert pour le climat (100 milliards de dollars par an) s’avère nettement insuffisant face aux besoins estimés à 2 000 milliards de dollars par an [26].
La notion de « transition juste », initialement formulée par des syndicats [27], est désormais inscrite dans l’Accord de Paris (2015) [27]. Néanmoins, son interprétation diffère entre le Nord et le Sud : dans les pays industrialisés, elle se concentre sur l’accompagnement social, tandis qu’ailleurs, elle interroge plus profondément les règles du jeu globales [28].
L’acceptabilité sociale de la transition dépend de l’équité perçue et d’une répartition juste des coûts [1]. Le dialogue social, impliquant les travailleurs, les entreprises et les communautés, constitue donc un pilier essentiel [29].
Conclusion
La trajectoire vers le zéro émission nette constitue sans aucun doute l’un des défis les plus complexes et urgents de notre époque. Néanmoins, cette transition s’avère techniquement réalisable grâce aux solutions déjà disponibles. La réduction drastique des émissions à la source constitue la première priorité, suivie de l’utilisation de technologies de captation et de puits naturels pour les émissions résiduelles.
Ainsi, les efforts doivent se concentrer simultanément sur la décarbonation énergétique, la transformation des processus industriels, l’électrification des transports et la rénovation des bâtiments. Les entreprises, de leur côté, doivent mesurer rigoureusement leurs émissions selon les trois scopes, en particulier le scope 3, qui représente souvent plus de 70% de l’empreinte carbone totale.
Certes, les obstacles demeurent considérables. Le déploiement à grande échelle des technologies bas-carbone exige des investissements colossaux, tandis que les solutions de captation directe restent coûteuses et limitées en capacité. Par ailleurs, la transition vers le net zéro soulève des questions fondamentales d’équité, notamment entre les pays du Nord et du Sud.
Au-delà des aspects techniques, cette transition nécessite également une transformation profonde des modèles économiques et des comportements individuels. L’approche de « contribution climatique » remplace progressivement la simple compensation carbone, en reconnaissant qu’une action climatique crédible exige d’abord une réduction maximale des émissions propres.
Finalement, atteindre le zéro émission nette d’ici 2030 requiert une mobilisation sans précédent de la part de tous les acteurs — gouvernements, entreprises, société civile. Cette ambition, bien que considérable, offre également d’immenses opportunités d’innovation et de création de valeur durable. Face à l’urgence climatique, chaque tonne de CO₂ évitée compte ; chaque action contribue à préserver l’habitabilité de notre planète pour les générations futures. La neutralité carbone n’est pas simplement un objectif technique mais un projet de société exigeant autant de rigueur scientifique que d’équité sociale.
Points clés
Voici les points essentiels pour comprendre et atteindre les objectifs de zéro émission nette d’ici 2030 :
• Réduction prioritaire à la source : Diminuer drastiquement les émissions directes par la décarbonation énergétique, l’électrification des transports et l’efficacité industrielle avant toute compensation
• Mesure complète des émissions : Quantifier rigoureusement les scopes 1, 2 et 3, ce dernier représentant souvent plus de 70% de l’empreinte carbone totale d’une entreprise
• Contribution vs compensation : Privilégier une approche de « contribution climatique » transparente plutôt que la simple compensation carbone qui peut masquer l’inaction réelle
• Standards rigoureux obligatoires : Respecter les critères SBTi et ISO 14068 exigeant 95% de couverture des scopes 1-2 et 67% du scope 3 pour garantir la crédibilité
• Transition juste et équitable : Intégrer les enjeux sociaux et l’équité Nord-Sud dans la planification, car l’acceptabilité sociale conditionne le succès de la transformation
La neutralité carbone exige une transformation systémique combinant rigueur technique, investissements massifs et justice sociale pour préserver l’habitabilité planétaire.
FAQs
Q1. Qu’est-ce que le concept de zéro émission nette ? Le zéro émission net, ou « net zéro », est un état d’équilibre où les émissions de gaz à effet de serre sont réduites au maximum et les émissions restantes sont entièrement compensées par des absorptions, notamment par les océans et les forêts.
Q2. Quelles sont les principales stratégies pour atteindre le net zéro d’ici 2030 ? Les stratégies clés incluent la décarbonation de l’énergie, l’électrification des transports, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, la réduction des émissions industrielles et agricoles, ainsi que le développement des technologies de captation du carbone.
Q3. Pourquoi est-il important de mesurer les émissions du Scope 3 ? Le Scope 3 représente généralement plus de 70% de l’empreinte carbone d’une entreprise. Sa mesure permet d’identifier les points chauds d’émissions dans la chaîne de valeur et d’élaborer des stratégies de réduction ciblées, essentielles pour atteindre l’objectif net zéro.
Q4. Quelle est la différence entre compensation et contribution climatique ? La compensation suggère qu’une émission peut être « annulée » par l’achat de crédits carbone, tandis que la contribution climatique encourage les entreprises à réduire leurs propres émissions tout en soutenant des projets de réduction ou d’absorption sans prétendre neutraliser leurs impacts.
Q5. Comment assurer l’équité dans la transition vers le net zéro ? L’équité dans la transition implique de prendre en compte les disparités Nord-Sud, d’assurer une répartition juste des coûts et d’impliquer toutes les parties prenantes dans le dialogue social. C’est crucial pour l’acceptabilité et le succès de la transformation vers une économie bas-carbone.
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